Passion littérature française : Le mystère Henri Pick, David Foenkinos.

L’auteur:

David Foenkinos, né à Paris le 28 octobre 1974, est un écrivain français, auteur de fictions romanesques, de pièces de théâtre et de scénarii.

Le roman:

images.jpg

Le mystère Henri Pick a été publié en 2016 par les éditions Gallimard. C’est un roman assez touffu, érudit aussi, bourré de considérations sur la vie, les écrivains et l’écriture, de rêves, d’histoires…

Les thèmes abordés tournent autour de la création littéraire: « Il est toujours un peu déprimant pour un auteur qui a publié un livre passé inaperçu de tomber sur un lecteur qui pense lui faire plaisir en lui en parlant pendant d’interminables minutes. (Page 39); de la vie d’un roman: « quand on aime un livre, on veut en savoir davantage. Qu’est-ce qui est vrai? Qu’a réellement vécu l’auteur? Bien plus que pour tous les autres arts qui sont figuratifs, il y a une traque incessante de l’intime dans la littérature. (Page 70); de la célébrité: « dès le lendemain, l’affluence doubla. On faisait la queue pour acheter un soutien-gorge chez la fille du pizzaiolo qui avait écrit un roman dans le plus grand secret (un des chemins absurdes emprunté par cette postérité particulière)…On pouvait la voir parader devant son magasin avec l’allure d’une gagnante du Loto. Elle réécrivait sa propre histoire selon les interlocuteurs. » (Page 132).

alphabet-2518264_640
Création littéraire
books-1617327_640

Mais également du monde de l’édition dont on sent, grâce à de petites touches lucides, cyniques parfois, que l’auteur en a une connaissance faite d’expériences douloureuses et de frustrations, malgré ou à cause de sa célébrité actuelle : « On croit que le Graal est la publication. Tant de personnes avec le rêve d’y parvenir un jour, mais il y a pire violence que la douleur de ne pas être publié: l’être dans l’anonymat le plus complet. » (Page 34)…Une connaissance aiguë: « Tout pouvait arriver avec ce livre, elle le sentait, même si rien n’est prévisible. Tant d’échecs ont dû être portés par des éditeurs sûrs de tenir un best-seller; à l’inverse, tant de succès ne sont nés d’aucune intention particulière. » (Page 70)… »C’est souvent ainsi que se décide la vie d’un livre; tous ne partent avec les mêmes chances. L’enthousiasme de l’éditeur est déterminant, il a des enfants préférés. » (Page 108)…Décrivant un monde sans pitié, une jungle dans laquelle se perdent les écrivains, artistes sacrifiés sur l’autel de la rentabilité, du profit: « Le premier à penser à une belle idée marketing fut Richard Ducousset des éditions Albin Michel. Il demanda à son assistant de rechercher quelques livres « pas trop mauvais » parmi ceux qu’il avait refusés dernièrement. Après tout, il arrive que l’éditeur hésite et renonce finalement à publier un roman malgré quelques qualités. » (Page 139).

L’intrigue:

Imitant le modèle américain de la Bibliothèque Brautigan, Jean-Pierre Gourvec crée à Crozon la Bibliothèque des Refusés où les auteurs peuvent déposer leurs manuscrits refusés par les éditeurs. La seule condition: déposer soi-même son manuscrit sur les étagères prévues à cet effet.

Un jour, Delphine et Frédéric, en visite à Crozon chez les parents de la jeune femme, y découvrent un chef-d’oeuvre, un roman intitulé « Les dernières heures d’une histoire d’amour » qui raconte les derniers instants d’un couple qui ne peut continuer à s’aimer avec, en parallèle, l’agonie de Pouchkine. Ayant appris que son auteur, Henri Pick, mort deux ans auparavant, vivait à Crozon ( comme le monde est petit), Delphine et Frédéric décident de rechercher sa famille afin d’acquérir le manuscrit et de le publier.

images (13)

Quand Delphine, après avoir retrouvé sa veuve, apprend de celle-ci que son mari, simple pizzaïolo, ne s’est jamais intéressé à la littérature et passait tout son temps libre dans son restaurant, commence à se poser des questions. Henri Pick avait-il une vie secrète? Est-il le véritable auteur du roman ou seulement un prête-nom? Le mystère autour de l’auteur s’épaissit de jour en jour…Jean-Michel Rouche, persuadé qu’il s’agit d’une supercherie, décide de mener sa propre enquête en Bretagne.

La bibliothèque Brautigan: la bibliothèque Brautigan, créée en 1990 sur le modèle décrit dans le roman de Richard Brautigan L’avortement: une histoire romanesque en 1966, publié en 1971, est une bibliothèque où des auteurs mettent à disposition des lecteurs leurs manuscrits refusés par les éditeurs ou non encore publiés. Le roman de Brautigan raconte l’histoire d’un homme vivant à San Francisco et travaillant dans une bibliothèque qui accueille les manuscrits refusés par les éditeurs, déposés par les auteurs eux-mêmes, sans aucun souci de classement. Bien que la bibliothèque ne soit pas ouverte au public, ces derniers sont néanmoins heureux que leurs écrits soient rassemblés et préservés.

Depuis 2010, la collection de la véritable bibliothèque Brautigan est installée au Clark County Historical Museum de la ville de Vancouver, dans l’état de Washington. Cet emplacement résulte de l’accord scellé entre Ianthe Elizabeth Brautigan, fille de l’écrivain, le Clark County Historical Museum et le Creative Media et Digital Culture Program de l’université de Vancouver.

Les personnages:

  • Gourvec Jean-Pierre: bibliothécaire à Crozon, en Bretagne, créateur de la version française de la bibliothèque des refusés; très attaché à sa région sans être extrémiste; grand et sec, des veines gonflées striant son cou, pigmentation rougeâtre prononcée; tempérament réfléchi et sage, « pour qui les mots avaient un sens et une destination »; peu sociable, érudit; vit seul depuis que sa femme l’a quitté de nombreuses années plus tôt, sans enfants.
  • Magali Croze: assistante de Gourvec; mariée, mère de deux fils; devenue littéraire au contact de la bibliothèque.
  • Delphine Despero: éditrice, passionnée par son métier: « Son métier la stimulait au plus haut point, elle le vivait presque de manière enfantine, comme on cherche des chocolats cachés dans un jardin. » (Page 42); bretonne installée à Paris depuis dix ans pour contraintes professionnelles; fille d’une professeur de lettres et d’un prof de maths; a fait ses études de lettres à l’université de Rennes.
  • Frédéric Koskas: écrivain; petit ami de Delphine.
  • Fabienne: mère de Delphine, professeur de lettres à la retraite; très proche de sa fille à laquelle elle téléphone tous les jours.
crozon
Crozon

Gérard: père de Delphine, professeur de maths à la retraite. Madeleine Pick: épouse de Henri Pick; âgée de 80 ans; vit seule dans sa maison de Crozon depuis la mort de son mari; mère de Joséphine; dure et ironique en apparence mais peut se montrer humaine et attachante. Henri Pick: défunt mari de Madeleine; père de Joséphine; pizzaïolo, prétendument auteur DU roman découvert par Delphine dans la bibliothèque des refusés; homme bourru,moins sociable et joyeux que sa femme; a priori ne s’intéressait pas à la littérature et ne lisait jamais. Joséphine: fille de Henri et Madeleine; divorcée, mère de deux filles; la cinquantaine; se laisse complètement aller; propriétaire d’un magasin de lingerie féminine à Rennes, où elle a toujours vécu depuis son mariage; saisit la soudaine célébrité de son père pour sortir de son anonymat. Jean-Michel Rouche: ancien journaliste littéraire au Figaro ayant perdu son influence et sa notoriété dans le milieu littéraire. Gérard Misson: nouveau propriétaire et pizzaïolo de la pizzeria d’Henri Pick transformée en crêperie. Nicole Misson: son épouse. Jérémie: jeune poète venu du Sud-Ouest pour déposer son manuscrit; vingt ans; légère ressemblance avec Kurt Cobain, figure longiligne, cheveux blonds longs et sales; souriant, attitude douce contrastant avec son apparence sauvage. Brigitte: compagne de Jean-Michel Rouche. Marc: ex-mari de Joséphine; sûr de lui, arrogant.

A propos de Richard Brautigan: 

Richard Brautigan, né en 1935 et mort en 1984, est un romancier et poète américain. Ayant grandi dans un milieu défavorisé de la Côte Ouest, il trouve son plein épanouissement dans l’écriture. En 1956, il rejoint le mouvement littéraire de San Francisco où il fréquente le mouvement de la Beat Generation (voir article connexe dans ce blog) et participe à de nombreux événements de la contre-culture. En 1967, Richard Brautigan devient célèbre avec la publication de son roman intitulé La pêche à la truite en Amérique, grâce auquel, ou à cause, il est surnommé  » le dernier des Beats ». Ses écrits suivants ne rencontreront pas le même succès et, peu à peu, Richard Brautigan sombrera dans l’oubli et l’alcoolisme. Il se suicide en septembre 1984. Son dernier roman, Cahier d’un retour de Troie, sera publié dix ans plus tard, en 1994.

Mon avis:

background-1995005_640

Le mystère Henri Pick est un roman qui mêle habilement fiction et monde réel, celui de l’écriture et de l’édition. Riche de très nombreuses allusions littéraires, écrit dans un style au vocabulaire choisi, ce roman à l’érudition raffinée, se lit avec gourmandise et beaucoup de plaisir.

J’ai beaucoup apprécié l’idée originale de reprendre un thème littéraire développé par un autre romancier afin d’y greffer une histoire différente tournant autour du thème de l’édition et du processus de création littéraire tout à fait intéressante, avec ses propres personnages, à une époque différente, dans des lieux différents.

Comme dans tout conte, car, par certains aspects, Le mystère Henri Pick s’apparente à un conte, l’auteur nous livre, dans les toutes dernières lignes, la morale de l’histoire….que je vous laisse découvrir et apprécier à sa juste valeur .

Citations:

« Chacun peut adorer la lecture, à condition d’avoir en main le bon roman, celui qui vous plaira, qui vous parlera, et dont on ne pourra se défaire. » (Page 17).

forest-438432_640

« Écrivain est le seul métier qui permette de rester sous une couette toute la journée en disant: Je travaille »!! (Page 35).

« En déambulant dans cette ville à la fois moderne et marquée par les cicatrices du passé ( Berlin), elle avait admis qu’on pouvait dépasser les ravages non pas en les oubliant mais en les acceptant. On pouvait composer un bonheur sur un fond parsemé de souffrances. Mais c’était plus facile à dire qu’à vivre, et les humains avaient moins de temps que les villes pour se rebâtir. » (Page 93).

Laisser un commentaire